J’entre dans la salle à manger, avec appétit. Les odeurs qui embaumaient le couloir et emplissaient mes naseaux en arrivant m’avaient mis de bonne humeur. Alors, que je m’apprête à saluer notre cuisinier, Tito, pour le remercier de ses services et lui demander mon repas pour le soir, quelqu’un m’interpelle.
« - Comment, ça va monsieur Jean-Paul ? » « O., combien de fois te le dirais-je ? Mon prénom est seulement Jean ! Mais, je vais bien, y tù como esta ? » Ah, la vie à Casa Boza, c’est aussi ça, passer d’une langue à l’autre sans trop s’en apercevoir. Chacun fait de son mieux pour apprendre le Castillan et c’est mon repas dans une main, mes couverts dans l’autre que je m’attable. Ma journée fut longue et je suis fatigué.
6 heures du matin, mon réveil sonne. Je m’habille, les yeux encore engourdi par le sommeil. J’attrape ma bible, et avec Francisco, nous dirigeons dans la pièce d’à côté. Notre chapelle, est d’une beauté simple qui me plait beaucoup. Un parquet en bois brun, une croix franciscaine une bible ouverte, et des chaises le long des murs. Nous, nous asseyons à même le sol, l’un à côté de l’autre, face à quelques icônes, deux bougies et une vielle bible en Castillan. Nous prenons quelques refrains, un évangile et quittons la pièce. Je glisse dans mon sac à dos, un bouquin, trois gâteaux, une bouteille d’eau, mon téléphone et je pars. Il n’est pas encore 7 heures lorsque je prends le métro. Aujourd’hui, je me rends à El Pardo, un village à l’écart de Madrid. Francisco quant à lui reste à Madrid pour accompagner 2 personnes à des rendez-vous médicaux.
Le trajet de Casa Boza, à El Prado, dure un peu plus d’une heure. Lorsque le bus me dépose, je dois encore marcher un kilomètre avant d’arriver au jardin d’El Pardo. C’est un lieu à l’écart, en campagne. La terre y est aride, et rocailleuse. Pourtant, c’est ici, que des réfugiés et quelques volontaires font émerger du sol, de quoi remplir la soupe de dizaines de familles. Il est 8 heures quand je commence le travail, nous récoltons des courgettes, la récolte est fructueuse. Ces 2 hectares cultivé dans le respect de la terre et des hommes, rendent honnêtement aux hommes le fruit de leur travail. C’est une joie. Travailler la Terre, avec d’autre hommes. Je suis en quête d’unité. Ce sont, les réfugiées qui nous montre le travail à effectuer. Je suis au service, de ces hommes. Je viens en pensant les accueillir et tous les jours je suis déconcerté quant je constate que ce sont bel et bien eux qui m’accueillent. 11h, je dois quitter le champ. On m’offre un demi melon pour la route et je reprends le bus. Je dois être à l’heure pour la prière du milieu du jour à 12h40. A 15 heures, le repas consumé, nous prenons la route pour SERCADE, jusqu’à 20 heures. Nous accompagnons, les jeunes, chez le médecin, accueillons les nouveaux arrivants, préparons les en-cas, prenons des nouvelles. Des complicités naissent avec certains, la joie du cœur, prend sa place petit à petit.
Nous rentrons à la maison, vers 20 h30, fatiguée. Le centre de SERCADE est bruyant. Lorsqu’on est entre 80 et 100 personnes dans moins de 150m², la place se fait parfois étroite. 21 h 15, je descends manger. C’est à ce moment-là, rappelez-vous, que O. m’interpelle. Je m’assoie et commence mon repas face à lui. Nous avons l’habitude de rigoler ensemble. M’invitant quotidiennement à partir en boite avec lui le samedi, ou voulant me faire faire un jogging le lendemain matin. Mais, aujourd’hui la questionne détonne. « - Tu as des frères et sœurs ? ». Je lui réponds, puis il renchérit avec d’autres questions. « Quel âge ont-ils ? Tu les vois souvent ? Et tes parents aussi tu les vois souvent ? Eux aussi habitent en France ? Combien de temps à tu déjà passé sans les voir ? » Je lui répond, et machinalement je lui retourne ses questions. Il me répond qu’il à 3 frères et une sœur, qu’il espère les revoir bientôt. Je lui demande depuis combien de temps il n’a pas vu ses parents, et c’est les mots qu’ils prononcent à ce moment-là qui me poussent à écrire. Ce grand garçon de 19 ans, que je croise tous les jours, en train de chanter, de rire, de danser, fui mon alors mon regard et la tête dans les mains me dit : « Je n’ai pas trop envie d’en parler. Ma maman j’aimerai la prendre dans mes bras. » Je ne voit plus ce jeune gars de mon âge, sur de lui, qui aime faire la fête et rigoler. Je vois face à moi, un adolescent, un enfant. Il est loin, de chez lui, de ses repères, de ce qu’il connait, de sa famille. Plongé, dans une ville immense, dans une culture étrangère. Il a traversé un continent, le désert, la mer sur un bateau pneumatique, des frontières barbelées et courut pendant plus de 80 kilomètres sans s’arrêter entre l’Algérie et le Maroc, pour éviter les policiers. Mais, pire que tout, il est loin de sa maman.
Je me vois à sa place et mon cœur se fait lourd. Moi, qui suis incapable de quitter ma Bretagne plus de quelques semaines sans que celle-ci me manque. Qui affectionne tant échanger dans la langue de mon pays. Qui aime tant ceux qui m’entourent et me sont chers. Si, la privation matérielle ne me fait pas forcément peur, je réalise à ce moment là où est la pauvreté de ces hommes et qui ont bravés l’impossible. Les pauvres, sont ceux qui ont faim, qui sont démunis. Non, pas de pain et d’argent. Mais, du pain de la vie, celui que le Christ à offert aux Hommes en échange de sa propre vie. L’argent n’est rien c’est l’amour de nos proches qui fait que nous persistons. Quand, je repense à tous ces hommes que je croise au quotidien je comprends alors. Lorsqu’il quitte tout pour chercher une vie meilleure, ce n’est pas pour eux, mais pour ceux à qui ils pourront l’offrir, à la famille rester au pays. O. me l’a répété tant de fois. Si, je fais ceci ou ceci ma mère sera fière, je pourrai la rendre heureuse. Tout s’éclaire, à présent. Ces hommes sont si petits chez nous et si grand chez eux. Ils ont enduré des violences, leur trajet fut douloureux et lorsqu’en arrivant en Europe, ils crient « Boza ». Ils pensent avoir atteint l’Eldorado, mais ce n’est que le début d’un nouveau périple. Tout au long de leur voyage, ils portent avec eux, les espoirs de leurs proches. Le lourd fardeau des responsabilités. Chaque enfant sur Terre, rêve en grandissant, de rendre ses parents fiers. Ils sont en charge de leur vie, mais aussi de celle de ceux qui sont restés au pays. C’est un reniement total. Chassons cette idée erronée de « migrant économique », ces hommes ne viennent pas pour l’argent. Ils viennent pour pouvoir rendre leurs Maman heureuse. Une mère qu’ils aiment et qu’ils voudraient tant prendre dans leur bras. A 20 ans, même quant on a traversé un continent et vu ce que l’homme fait de pire, que l’on a vécu trois ou quatre vies, nous restons un enfant. Un enfant qui a besoin chaque jour, de la tendresse de sa mère.
Mon cœur chante alors ce refrain africain :
« Marie mama, prend nous dans tes bras et conduis-nous vers Jésus ! »
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